« La mer, l’océan, de tous temps, nous ont enseigné la solidarité, la fraternité, la responsabilité, la détermination, comme des conditions nécessaires à la navigation et à la survie ».
Par l’organisation annuelle de ses « forums de l’économie bleue en Polynésie française », les membres du Cluster Maritime participent à une mobilisation élargie de la communauté du Maritime, afin qu’elle s’interroge et se positionne face aux grands enjeux de développement de nos filières. Il faut poser un regard transversal, constructif, sur nos problématiques structurantes.
Notre océan est partout, partout autour de nous, mais également en nous. Il imprègne notre langue tahitienne : Moana, Aeha’a, Tahatai, Taitua, Tairoto… La plus précise au monde, peut-être, pour définir chaque nuance de nos lagons, de l’océan jusqu’aux différentes formes des vagues. Nos légendes sont peuplées de héros navigateurs ou pêcheurs. Le monde polynésien est imprégné de la puissance de l’eau. Et nos navigateurs ont écrit l’une des plus magistrales épopées maritimes de tous les temps. Le socle de l’économie maritime repose sur l’importance de notre environnement, de nos éco-systèmes, et la préservation de nos espaces et de nos espèces. C’est un préalable, partagé par tous, qui est totalement compatible avec un développement économique ambitieux, offrant des perspectives aux nouvelles générations.
Sur ce socle, plusieurs piliers sont indispensables à l’évolution de nos secteurs. Nous aimerions proposer de formaliser collectivement cette démarche au travers d’un « Pacte Bleu » pour la Polynésie française (ou The Polynesian Blue Act si nous y inscrivons une dimension régionale qui nous semble inévitable). Ce pacte, nous pourrions le porter et le défendre ensemble, décideurs privés, unis et rassemblés, et décideurs publics, politiques et administratifs.
Le premier pilier de ce pacte, c’est l’éducation et la formation professionnelle. Il nous faut enseigner la mer, dès le plus jeune âge, et jusqu’au plus haut degré de compétences. Nous en avions fait le thème de notre forum de 2015. Et nous espérons, à moyen terme, que l’ambition d’un lycée professionnel de la mer, pensé et constitué de manière progressive, puisse voir le jour dans les prochaines années. De l’école primaire jusqu’à niveaux supérieurs, des filières de formations doivent être structurées et opérationnelles, et l’océan doit submerger nos savoir-faire, il doit devenir l’essence de notre différence, l’essence de notre excellence.
Le second pilier correspond aux infrastructures et aménagements dont nous pourrions disposer. Des filières pleinement opérationnelles et efficientes doivent pouvoir s’appuyer sur un maillage d’infrastructures nautiques et maritimes adaptées, gérées, bien conçues et modernes. Cette question était au coeur de notre forum de 2016. Nous avons souvent abordé la constitution d’un Pôle Polynésien de Réparation Navale, qui implique un espace dédié au coeur de notre zone portuaire. Les objectifs à formaliser au sein de ce « Pacte Bleu » pourrait être d’atteindre l’engagement raisonnable de 5% de l’ensemble des dépenses publiques, et d’au moins 25% des dépenses publiques d’investissement en aménagements et infrastructures réalisées et liquidées chaque année pour le maritime — nous constatons depuis le début de la décennie des dépenses autour de 10% des budgets d’investissement. Dans un Pays géographiquement et essentiellement maritime, cette situation ne peut être considérée comme satisfaisante.
Le troisième pilier tout aussi essentiel, qui était le thème de notre forum de cette année, tient en l’organisation et le partage de nos espaces maritimes. La multiplication des flux et des usages nous impose collectivement une gestion rigoureuse de ces espaces côtiers ou au large. Au travers de ce pacte, il faut à la fois s’engager sur les ressources humaines et les moyens qu’il convient de déployer, publics et privés. Il faut organiser la surveillance partagée, tant écologique que sociale, de ces espaces et des espèces qui y vivent.
Le transport maritime doit également bénéficier d’un souffle nouveau, quatrième pilier fondamental, avec une flotte optimisée, moderne, permettant de constituer les réseaux et routes maritimes dont nous avons besoin, que ce soit avec l’international, mais aussi en priorité entre nos îles. Essentiel pour l’approvisionnement de nos archipels, nous avons délaissé trop longtemps cet aspect stratégique pour notre Pays. Nous devons retrouver la fierté de notre flotte marchande et du transport maritime de passagers, des professionnels qui l’animent, courageusement, et sans lesquels aucun développement durable de notre Pays n’est ni concevable, ni réaliste.
Le cinquième pilier est également incontournable. La réalisation des précédents en dépend. Nous souhaitons une réorganisation de la gouvernance administrative et politique des sujets liés à l’économie bleue. Nos filières sont toutes interdépendantes, et elles se trouvent fragmentées au travers d’un maillage administratif complexe et de différents ministères. Nous proposons la création d’un Secrétariat général du gouvernement spécifique à la mer (SG Mer), assurant la cohérence des politiques et actions menées, qui puissent être l’interlocuteur administratif, technique et juridique des collectivités locales, et la porte d’entrée pour les acteurs privés. Le Cluster est prêt à accompagner activement sa constitution et appuyer toute démarche en ce sens.
Le dernier pilier que ce pacte pourrait nous permettre de constituer ensemble, avec les moyens dédiés, un observatoire de l’économie bleue. Si nous voulons que nos secteurs soient générateurs d’emplois et d’avenir, nous avons besoin de définir des outils de collectes de données et de pilotage, des tableaux de bords fiables, et des méthodes d’évaluations et de suivis partagées et crédibles. Là encore, le Cluster Maritime se veut être un partenaire constructif pour sa mise en place. S’impose à nous, après toutes les réunions tenues, la nécessité d’une concertation large, méthodique et coordonnée ; dans le même temps, il est exprimé une forte attente pour que la gestion de ces espaces s’exerce pleinement à l’échelon local, à proximité des usagers.
Pour cela, autre élément fort à retenir, et sur lequel j’aimerai attirer l’attention, c’est au final la question des moyens dédiés et des ressources humaines. Nous faisons, collectivement, le constat récurrent d’un monde maritime qui n’a pas encore véritablement les moyens de ses ambitions dans notre Pays.
Nous connaissons le réservoir de croissance, d’activités, d’innovation et de biodiversité que constituent l’océan, les lagons, les zones côtières. Le baromètre de l’économie maritime que nous réalisons depuis 4 ans a aussi cette fonction de faire prendre conscience que nos filières représentent la seconde économie du Fenua, mais qu’elles disposent encore, chacune, de véritables potentiels d’expansions.
Notre Pays sait se donner les moyens. Il l’a prouvé dans le développement des liaisons aériennes entre les archipels. Il l’a prouvé dans le déploiement des moyens de communication modernes dans les vallées, entre les îles, entre les archipels. Il le prouve encore en reliant nos archipels avec un nouveau câble sous-marin pour le numérique.
Nous disposons collectivement de la technicité ; nous disposons collectivement des capacités d’organisation ; nous disposons même, si nous le décidons, des moyens financiers nécessaires pour impulser cette croissance maritime, génératrice d’emplois et respectueuse de l’environnement. C’est la raison pour laquelle, au travers de ce Pacte Bleu, nous souhaitons que puisse être provoquée une dynamique de croissance, de responsabilité, et de construction partagée.
Nous souhaitons, au Cluster Maritime, que cette vision, que nous souhaitons résolument polynésienne, respectueuse et vertueuse, soit accueillie pour ce qu’elle est : un partage, une contribution, une invitation.
Nous sommes embarqués ensemble, sur un même navire, et nous devons naviguer ensemble, malgré les divergences, les intempéries ou les avaries. Nous devons faire corps, nous devons être équipiers, nous devons former un même équipage. C’est l’enseignement principal du monde maritime, c’est notre histoire, en Polynésie comme partout dans le monde : nous tous, les femmes et les hommes de ce Fenua, professionnels ou riverains, décideurs publics ou investisseurs privés, avec l’humilité nécessaire que nous impose l’océan, nous ne pourrons maintenir le cap qu’en étant soudés et solidaires.